[:fr]Noël des bouleversements[:]

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La période de Noël est pour les croyants une période de tension et de sentiments contradictoires qui se bousculent en nous. Certes, on sait se débarrasser (du moins je l’espère) de toute la dimension commerciale ou féerique, du père Noël avec son renne au nez rouge jusqu’aux décorations kitsch des grandes surfaces.
Malgré tout, il reste l’impression d’être encore loin du sens profond de ce récit de Noël. Pourquoi ?
Je crois que le problème c’est plutôt l’ambiance, cette ambiance de Noël dont nous rêvons tous ces jours-là. Plus précisément : c’est de mettre ensemble l’ambiance de Noël telle que nous l’imaginons et souhaitons, et l’événement historique de Noël. Car l’une n’a pas forcément de rapport avec l’autre.
Nous aurions besoin de faire le tri, besoin de déballer Noël comme on déballe un cadeau.
N’est-ce pas une ambiance « idyllique » que nous cherchons sincèrement avant tout pour nos fêtes de Noël.
A l’extérieur, nous aimerions profiter de la beauté fabuleuse des champs et des forêts enneigés.
A l’intérieur, nous rêvons de lumière, celle d’un beau sapin, de beaucoup de bougies, de chants de Noël, mais aussi la lumière qui brille dans les yeux des enfants quand ils découvrent exactement le cadeau qu’ils avaient souhaité.
Et par-dessus tout, nous souhaitons l’harmonie, la paix, la bienveillance, l’amour.
A Noël, nous supportons moins encore qu’à d’autres moments que la terre aille mal.
A Noël, nous voudrions que tout le monde s’aime et vive en paix…
C’est un beau désir contre lequel il n’y a rien à dire.
Et donc le problème c’est que nous avons de la peine à le réaliser, même à notre niveau plus que modeste : le petit boude, parce qu’il a reçu des legos au lieu de la play-station, papy se mêle de l’éducation, maman fait une crise de nerfs parce que la dinde est brûlée, et papa ne sort pas de derrière son ordinateur…
Du coup c’est difficile de pratiquer la paix et l’harmonie, si pendant le reste de l’année, et surtout pendant les semaines de l’Avent, on n’arrête pas de stresser et de s’énerver.
C’est difficile d’être reconnaissants quand on a l’habitude de pouvoir tout acheter sans grand effort.
C’est difficile d’aimer quand, pendant le reste de l’année, on ne sait pas très bien ce que cela veut dire.
Nous voudrions tellement que ce soit beau… comme une carte postale.
D’autant plus grande est la frustration quand nous n’y arrivons pas. Nous ne pouvons pas mettre comme ça une couche de Noël sur nos vieilles habitudes.
Ce qui peut nous consoler, c’est que l’histoire biblique de Noël est tout sauf idyllique.
Certes, on a essayé d’y mettre aussi une petite couche de paisible harmonie. Quoi de plus émouvant que le bonheur d’une jeune maman devant son nouveau-né ?
Quoi de plus beau qu’une étoile, ou la musique des armées célestes ? Quoi de plus paisible que le métier de berger, en harmonie avec la nature ? Quoi de plus idyllique que la scène de la crèche ?
Dans nos émotions de Noël, il y a peu, voire pas de place pour une Marie épuisée, un Jésus nouveau-né qui ne cesse pas de crier, ou des bergers sales qui puent le mouton, dans une étable à l’odeur non moins redoutable!
Pourtant, n’oublions pas :

  • avant le repos (de peu de confort !) dans une étable, il y a la fatigue d’un long voyage.
  • Avant l’adoration, il y a l’exclusion de ceux à qui on ferme la porte de l’auberge.
  • Avant le bonheur d’être mère, il y a la douleur de l’accouchement.
  • Et avant la joie annoncée par les anges, il y a la crainte, la terreur des bergers.

L’histoire de Noël est tout sauf idyllique et harmonieuse: elle est au contraire un bouleversement total.
Dans l’idyllique, il n’y a pas de place pour le bouleversement. L’idyllique exprime notre désir que tout reste comme avant. Seulement un peu plus beau. Avec une petite couche de Noël.
D’où vient notre besoin de revenir sans cesse à cette mise en scène que l’on veut figée comme une image d’Epinal, de mettre toujours cette couche douceâtre ?
D’une part, c’est un désir profondément humain et légitime : le désir de beauté, d’harmonie et de paix. Et il n’est pas interdit de faire un effort pour que Noël soit le plus beau, harmonieux et paisible possible. Les anges ne disent-ils pas : «paix sur la terre» ? Cet enfant n’est-il pas appelé le «prince de la paix» ? Ne nous promet-on pas que le loup habitera avec l’agneau ? Quelle image idyllique !
Mais nous aimerions avoir cette beauté, cette harmonie et cette paix sans changement.
Parce qu’un changement fait peur. Il pourrait nous obliger à quitter notre foyer confortable et bien chauffé pour sortir dans la nuit noire, froide, mystérieuse, effrayante. Où la lumière des étoiles nous fait frissonner. Où la voix de l’ange ébranle nos convictions les plus profondes.
Bien sûr, il y a la joie. La «grande joie pour tout le peuple».
Mais cette joie n’arrive qu’après le bouleversement.
(je citerai plusieurs fois des commentaires de la revue « lire et dire »)
 1er bouleversement (Zacharie) :  Lecture : Luc 1 : 5-14, 18-20,24-25
l’importance du personnage et sa sainteté sont immédiatement mises en évidence par l’évangéliste.
Un bon prêtre, qui forme avec sa femme un couple modèle, irréprochable : «Tous deux étaient justes devant Dieu.»
Zacharie est désigné pour, suprême honneur, «offrir l’encens à l’intérieur du sanctuaire du Seigneur», un acte essentiel de la vie religieuse d’Israël.
Et c’est à ce moment précis que l’ange intervient. Il choisit donc l’homme le plus qualifié et le lieu le plus saint pour apparaître.
Il ne lui est pas apparu pendant qu’il faisait sa toilette du matin, mais dans le temple, pendant qu’il célébrait l’office divin.
L’ange a ainsi choisi l’homme et l’endroit par excellence où il aurait dû être reçu : au coeur du temple, dans le coeur d’un homme de Dieu. Là où il est prévu que Dieu parle. D’ailleurs il y a bientôt 400 ans que ce canal de 
communication n’a pas été utilisé par Dieu. Chaque sacrificateur doit se de demander : est pour cette année, est-ce à mi que Dieu va enfin parler ?
Et là, quel flash, Dieu le fait, il parle à Zacharie.
L’ange délivre son message, mais Zacharie tergiverse : il s’estime trop vieux.
Et l’ange de dire qu’il n’a pas «cru en ses paroles».
Oh non, Dieu utilise enfin le canal de communication pour parler aux hommes, et celui-ci est bouché ! Un vieillard bouché, aux oreilles bouchées, sourd même… à quoi ?… à la réponse à ses prières.
La conclusion lapidaire de l’ange tranche avec le portrait que Luc dresse de Zacharie : l’homme «juste et pieux qui observe tous les commandements» n’est, en vérité, plus à l’écoute de la Parole vive.
Zacharie priait Dieu, oh il ne priait plus depuis longtemps pour avoir un enfant, non, il priait pour que Dieu envoie enfin son Messie, son libérateur, et son précurseur le nouvel Elie, il priait pour que s’accomplisse la promesse faite quand Dieu a parlé pour la dernière fois.
Le problème ? Zacharie n’attendait plus de voir sa prière exaucée; il avait cessé de l’espérer, il n’était plus habité par l’attente. Et un homme qui n’y croit pas, qui n’y croit plus, qu’a-t-il encore à dire ? Réduit au silence, il ne pourra pas même annoncer à Elisabeth la bonne nouvelle…
… Le silence de «ceux qui n’y croient plus»… la confusion.
Et nous ? Sommes-nous des habitués de la foi, tellement habitués qu’on n’en attend plus rien ? Qu’on prie sans espérance ?… qu’on a plus rien à dire.
2ème bouleversement (Marie) :
Luc 1,26-38 : l’annonce de l’ange à Marie
Ce passage est à lire comme l’envers de celui qui précède.
Avec Marie, Dieu a compris la leçon que lui a donnée Zacharie, on ne le reprendra pas une deuxième fois !
Puisque les coeurs des hommes de Dieu sont fermés à la Parole de Dieu, et bien finis, les hommes justes et pieux qui font des prières sans croire à leur exaucement; finies, les liturgies psalmodiées mécaniquement sans ouverture à l’inattendu de Dieu; fini, le tralala sacerdotal bien réglé de la Judée !
L’ange va donc se rendre directement en Galilée, cette «Galilée des nations» où se mêlent les peuples, les cultures, les religions, – terre païenne méprisée comme impure.

  • Il se rend, non à Jérusalem, la capitale politique et religieuse, mais à Nazareth, une ville insignifiante et impure.
  • Il se rend, non au Temple, mais en ville, qui plus est dans une simple cuisine.
  • et il n’y cherche pas le chef, le religieux, l’homme important : il va vers une jeune fille qui n’est strictement rien, même pas encore mariée.
    Qui, elle, n’aura pas peur; qui, elle, va l’écouter et même le croire sur parole.

A elle, l’ange n’a pas même besoin de dire «sois sans crainte» : elle n’a pas peur. Il lui dira donc simplement : «Sois heureuse, toi qui as reçu la grâce : le Seigneur est avec toi».
C’est bien cette parole que Marie porte dans son coeur : le Seigneur est avec elle. A la joie de donner la vie se mêle la joie de sentir le Seigneur présent dans son existence.
La situation de Marie n’est pourtant pas facile : elle se retrouve enceinte dans son extrême jeunesse, sa vie va être bouleversée par ce qui lui arrive.
Que vont dire les voisins ? les juifs ? sera-t-elle lapidée ? Comment va réagir Joseph son fiancé ?  Mais voici : elle porte en elle la parole de l’ange, elle porte en elle le don de Dieu, et ça bouleverse toute son existence.
 
En elle cohabite un enfant et une parole (comme chez Elisabeth).
On peut être plus précis encore : c’est la parole qu’elles portent au fond du coeur qui leur permet de porter leur enfant au fond du ventre avec une grâce, une joie, incomparables.
Il ne fait guère de doute que la joie de Marie est une joie mêlée, elle aussi.
Les peintres ont tort de la représenter toujours, de même qu’Elisabeth, dans des postures extatiques de saintes : mains jointes, regard au ciel, visage lisse et auréole au-dessus de la tête. Marie et Elizabeth sont des femmes comme toutes les autres : elles courent, elles se démènent toute la journée, elles bousculent leurs (vieux) maris !
Remarques : peintres + évangélistes = hommes (exemple flagrant : «elle accoucha», un seul mot pour des heures de travail… seul un homme peut écrire ça)
Porter un enfant au creux du ventre, sentir au fond de soi la vie bondir, on sait bien que ce n’est pas toujours drôle, qu’il y a des effets secondaires; mais cela demeure l’un des plus grands miracles qu’il soit donné de vivre.
En même temps, leur joie ne serait pas complète si ne venait se mêler à cette joie très humaine de donner bientôt la vie, une joie plus mystérieuse, plus profonde : la joie de porter une parole au fond du coeur. Celle de l’ange qui les a visitées.
Et nous ? Le bouleversement de cette parole divine qui a été greffée en nous provoque-t-il une paix intense, une joie intense ? ou juste une semaine par an une petite couche de Noël idyllique ?
 
3ème bouleversement (Joseph) : Lecture Matt 1 :18-25
Je ne veux pas m’arrêter longuement sur Joseph (déjà fait un message).
Juste relever le contraste avec Zacharie.
Joseph lui, n’a même pas droit à un vrai ange, un truc incontestable, non un simple songe.
Et Joseph applique la Parole reçue, sans discuter, sans la moindre question. Dieu dit, je fais, j’assume.
Conséquence du bouleversement : devoir faire des choix.
Joseph aurait pu choisir en fonction de son intérêt, ou du qu’en dira-t-on. Il a choisi la voie la plus difficile, par souci d’équité et par obéissance. Il a fait le choix de la confiance, en homme juste et aimant. Il est allé jusqu’au bout de ce choix, en s’engageant dans la voie qui lui avait été ordonnée.
Et nous ? Il ne suffit pas de sauver les apparences et de chercher à s’en tirer tout seul. Quels sont les choix qui nous attendent, personnellement, en famille ou en société ? Quels sont les critères qui vont nous guider dans les décisions que nous allons prendre ? En vue de quoi allons-nous choisir ?
La prise en compte de critères de valeurs extérieurs, comme la solidarité, l’équité, le souci des plus exposés (comme Marie) peuvent nous aider à choisir, non en fonction de nos intérêts propres, mais en fonction de ce qui est juste. C’est ça aussi l’ambiance de Noël.
Conclusion :
Zacharie : bouleversement => confusion
Marie et Joseph : bouleversements => joie
Pas le temps de nous arrêter sur ce 3ème couple : Siméon et Anne, encore des vieillards, (qui vont rencontrer Marie et Joseph 40 jours plus tard à l’entrée du temple), encore des justes et pieux, encore des prieurs, mais pas avec les oreilles bouchées ni les yeux fatigués. Mais à nouveau quel contraste avec Zacharie !
Siméon et Anne : bouleversement => joie, satisfaction, accomplissement.
Siméon qui, lui également, était «juste et pieux», le voilà porteur, dans ses propres bras, d’une réalité nouvelle, d’un enfant nouveau : ce qui a été annoncé est bien vrai ! Lui contrairement à Zacharie, croyait encore à l’accomplissement de ses prières, et il attendait chaque jour leur accomplissement. Siméon et Anne aussi bouleversés.
Ce bouleversement de Siméon est aussi celui qui nous est proposé. C’est que : « Dieu s’est fait homme ».
Cela signifie : nous n’avons plus besoin de faire comme si nous étions Dieu.
Dieu nous rejoint dans notre humanité, dans tout ce qu’elle a de précaire, de laide, d’imparfaite.
Nous n’avons plus besoin de faire des efforts surhumains pour être parfaits, pour avoir la plus belle fête de Noël possible, où tout le monde est heureux et vit dans l’amour, l’harmonie et la paix avec les autres.
Nous sommes humains, et nous pouvons l’être, parce que Dieu est devenu homme.
C’est ça, notre grand bouleversement. Et ne croyez pas que c’est si simple.
Renoncer au sentiment qu’on doit – et qu’on peut – tout faire, quand on en a l’habitude, cela ne va pas de soi. C’est un long travail. Mais je crois que
seul ce travail-là pourrait nous permettre d’avoir de belles fêtes : reconnaître nos limites, au lieu de stresser pour les faire disparaître.
Je suis sûre que ça rendrait passablement plus faciles l’harmonie, l’amour et la paix entre nous.
Et la question qui se pose à nous, aujourd’hui, dans les situations que nous vivons, dans les épreuves que nous traversons, c’est de savoir si, comme Marie, nous sommes habités par la joie de porter une parole au fond du coeur.
Sommes-nous habités par la joie des promesses exaucées ?
Sommes-nous habités par la joie de savoir le Seigneur avec nous ?
Aujourd’hui, ce qui menace notre Noël, ce n’est pas le manque de bonne volonté pour donner à cette fête tout le lustre qui lui revient : c’est de ne pas croire à la parole du Dieu avec nous, de ce Dieu qui vient se mêler à nous. Ce qui nous menace, c’est que nos fêtes ne soient pas habitées par la conviction profonde que Dieu vient habiter en nous, comme il a habité dans le ventre de Marie, dans le cœur de Siméon, qu’il vient loger chez nous comme plus tard Jésus logera chez Zachée, qu’il vient manger avec nous comme Jésus mangera avec ses disciples et tous les gens qui l’invitaient.
Pour réussir Noël, nous avons besoin, non pas d’un rajout d’une petite couche de Noël et paillettes sur notre quotidien.
Nous avons besoin d’accepter les bouleversements inhérents à la foi de Dieu fait homme.
Et nous avons besoin de faire les choix qui en découlent.
La joie vraie et durable est à ce prix.
Pour terminer, j’aimerais partager avec vous un poème de Madeleine Jacot Verdeil qui exprime pour moi le bouleversement dont nous avons parlé.
Et qui se termine pourtant sur une petite note idyllique :
 Angoisse et sang de la mère criant l’attente
De l’enfant qui va s’arracher au corps meurtri.
Tunnel de vie ouvrant sur une joie ardente.
Le nom d’un fils nouveau échappe dans un cri.
 
Ainsi la création tout entière soupire,
Attend, gémit et hurle et se tord de douleur
Tandis que, de la chair vive qui se déchire,
Un corps de gloire naît aux yeux du Créateur.
 
Lune, étoiles, soleil et vous, mers en liesse,
Et vous, les fleurs des champs, les passereaux des cieux,
Criez, pour saluer l’enfant de la promesse
Car l’horizon blanchit au matin radieux.
 
Et nous, enfants de chair, de nuit et de lumière,
Fils et filles de Dieu vêtus de noms nouveaux,
Dans l’orchestre acclamant la naissance dernière,
Faisons chanter pour Lui nos flûtes de roseaux !
 
Madeleine Jacot Verdeil
Extrait de « Naissances »
Labor et Fides 2001

Daniel Heintz

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